Ce n’est pas coutume que l’attitude proactive d’un hébergeur soit saluée par les juridictions pour que nous le soulignons.
Un annonceur, ayant conclu un contrat de référencement payant avec Google (via le service Google Ads) reprochait à l’hébergeur d’avoir suspendu le référencement de son site internet « pour raisons légales » et d’avoir refusé de réactiver son compte, considérant que :
- la clause en vertu de laquelle agissait Google créait un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-1 I 2° du Code de commerce ;
- et que Google avait commis un abus dans la suspension puis dans son refus de réactiver le compte en l’absence d’élément permettant de justifier l’existence du manquement avéré ou même suspecté aux règles Adwords.
En l’espèce, le secrétariat d’État chargé du numérique avait signalé à Google, en sa qualité d’hébergeur, que les activités de l’annonceur, exploitant le nom de domaine <cartegrisefrance.fr> dédié aux démarches d'obtention sur internet de certificats d'immatriculation, présentaient les caractéristiques d’une pratique commerciale trompeuse (à savoir, l’absence d’habilitation par le ministère de l’intérieur à délivrer des demandes de certificat).
Face à ce signalement, Google prit l’initiative de suspendre le compte de son cocontractant en se fondant sur l’article 13 des conditions générales du contrat de référencement qui les lient, stipulant ce qui suit :
« Google peut apporter des modifications mineures aux présentes Conditions à tout moment sans préavis ; toutefois, en cas de modifications majeures des présentes Conditions, un préavis sera adressé par Google (...). Chaque partie peut résilier immédiatement les présentes Conditions à tout moment en notifiant à l'autre partie moyennant un préavis sauf en cas de manquement contractuel répété ou grave, notamment à une politique. (...) Google peut suspendre la participation du client aux programmes à tout moment, par exemple en cas de problème de paiement, de manquements suspectés ou avérés aux politiques ou aux présentes Conditions ou pour raisons légales ».
La Haute Juridiction confirme le raisonnement des juges d’appel et considère que :
- dès lors que l’annonceur ne disposait pas de l’habilitation requise prévue à l’article R. 322-1 I du Code de la route pour collecter les données des automobilistes nécessaires à l’établissement de certificats d’immatriculation, l’activité de l’annonceur était illicite de sorte que Google n’avait pas commis d’abus en suspendant puis en refusant de réactiver le compte de l’annonceur ;
- l’article 13 des CG ne crée pas un déséquilibre significatif dès lors que l’hébergeur, conformément à l’article 6§2 de la LCEN, a une obligation légale d’agir promptement pour retirer des données dont ils connaissent le caractère illicite ou pour en rendre l’accès impossible.
La Cour a ainsi estimé que le caractère illicite de la pratique de l’annonceur était suffisamment avéré par le signalement du secrétaire d’État pour que l’hébergeur doive agir promptement et actionner sa clause de suspension de compte pour raisons légales.
Cette solution amène toutefois à se demander si Google aurait été tout aussi proactive avec un signalement de la part d’un citoyen lambda ; ne se serait-elle pas retranchée derrière l’absence de ‘connaissance effective’ ou l’absence de circonstances faisant apparaître cette illicéité pour ne pas suspendre le compte ? C’est à craindre.
Google n’a donc, selon nous, pas fini de voir sa clause contractuelle mise en débat : tant du côté ‘auteur du signalement’ pour considérer qu’elle doit en faire application et suspendre l’annonce litigieuse, que du côté ‘annonceur évincé’ qui estimerait la suspension/désactivation de compte abusive et déséquilibrée…
Cass. Com. 04/09/2024, n° 22-12.321 FS-B (publié au bulletin) https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000050192449?init=true&page=1&query=22-12.321&searchField=ALL&tab_selection=all