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La possible exclusion d’un associé d’une SAS sur la base d’une clause statutaire non consentie par ce dernier

Date de publication 24-03-2023
Auteur Valérie Tazé

Il est désormais possible, même pour les sociétés constituées avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2019, d’exclure un associé d’une SAS et de le contraindre, le cas échéant, à vendre ses actions, sur la base d’une modification d’une clause d’exclusion à laquelle il n’aurait pas consenti, et sans que cela ne contrevienne au droit de propriété. Ceci ressort conjointement d’un arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2022, et d’une décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2022.

Les faits à la base de cette solution étaient les suivants. Un salarié d’une SAS, dont les statuts, antérieurs à 2019,conditionnaient la qualité d’associé à celle de salarié, a démissionné en octobre 2020. Il s’est, en janvier 2021, vu opposer, par un vote à la majorité :

- une modification des statuts, en vue de leur mise en conformité au droit des sociétés, par l’ouverture de la possibilité, pour l’associé visé par la procédure d’exclusion, de voter sur cette question;

- son exclusion subséquente en tant qu’associé, impliquant la cession forcée de ses actions.

L’associé exclu de la SAS a saisi le Tribunal de commerce de Paris, devant lequel il a posé quatre QPC. Transmises à la Cour de cassation pour filtrage, elle a apprécié leur recevabilité. Pour cela, elle a dû, entre autres, se prononcer sur l’applicabilité dans le temps de la loi du 19 juillet 2019dite «Mohamed Soilihi», substituant, pour ce qui nous intéresse ici, la règle de la majorité à la règle de l’unanimité pour la modification des statuts, et qui faisait débat depuis son adoption. Elle en a conclu qu’elle était d’applicabilité immédiate, y compris pour les sociétés antérieurement constituées, en ce que les dispositions en cause «ont pour objet et pour effet de régir les effets légaux du contrat de société». Cette dernière concluant ainsi, sur la base des différents motifs, à la recevabilité des QPC, le Conseil constitutionnel a alors eu l’occasion, peu fréquente en droit des sociétés, de rendre, le 9 décembre 2022, une décision relative à la conformité au droit de propriété (DDHC, art. 2 et 17) de la cession forcée des parts d’une société par action simplifiée (C. com., art. L. 227-16 ), ainsi que de la possibilité d’une exclusion d’un associé fondée sur une clause statutaire modifiée sans son consentement (C. com., art. L. 227-16 combiné à l’art. L.227-19).

Le résultat est néanmoins, sans pour autant être totalement condamnable sur le fond, source d’imprévisibilité et d’incertitudes. Ceci sera visible tant au regard de la question de l’applicabilité de la loi dans temps (I), que de la possibilité d’exclure un associé sur la base d’une modification statutaire non consentie par ce dernier (II).

I . L’imprévisibilité résultant de l’application de la Loi de 2019 aux sociétés constituées antérieurement à son entrée en vigueur

La décision de la Cour de cassation peut tout à fait être justifiée en ce sens que, non seulement, elle s’aligne sur la jurisprudence relative aux sociétés anonymes, mais également car elle permet l’évolution effective du droit des sociétés, ainsi que des sociétés déjà créées. Elles peuvent ainsi s’adapter afin de répondre à la diversification et multiplication des défis qui sont en jeu. De plus, l’application immédiate permet aussi une uniformisation simplifiant l’identification des régimes applicables aux SAS.

Néanmoins, le fondement utilisé par la Cour de cassation pour justifier cette applicabilité immédiate consiste dans la théorie des effets légaux des contrats, exception à la survie de la loi ancienne. Cette dernière, a, non sans raison, fait l’objet de multiples critiques, concernant aussi bien son champ d’application du fait de l’absence de définition des effets légaux, l’application aléatoire qui a pu en être faite par les juges, ou tout simplement car ces effets légaux sont, en principe et au même titre que les effets contractuels, pris en compte par les parties lors de la constitution de la société, et ne justifient donc pas de fonder d’exception à la survie de la loi ancienne. Il aurait alors peut-être été plus judicieux de se fonder sur le caractère institutionnel des sociétés, impliquant également directement l’application de la loi immédiate, régulièrement rappelé par la jurisprudence, et ce, même en matière de SAS. Cela d’autant plus qu’aucune explication n’est fournie sur le fait que la clause d’exclusion relève des effets légaux, plus que de la volonté des parties.

Cette imprévisibilité,due au flou laissé par le recours à la théorie des effets légaux du contrat,est également présente, dans une autre mesure,au stade des conséquences de l’applicabilité de cette loi nouvelle aux situations antérieures à son entrée en vigueur. En effet, les associés qui s’étaient engagés dans une SAS sous l’empire de la règle de l’unanimité avaient planifié leur associationselon cette logique, et ne se seraient peut-être pas engagés sous l’empire d’une règle de majorité. Ainsi, cette décision produit nécessairement une forme d’instabilité et au moins de déstabilisation de l’engagement des associés de SAS.

Cette solution relative à l’applicabilité de la loi aux SAS constituées antérieurement à son entrée en vigueur est dès lors vectrice d’insécurité juridique. Elle est également frustrante du fait de son caractère lapidaire, laissant ouverts certains questionnements.

II . Les incertitudes résultant d’une possibilité d’exclusion d’un associé de SAS non consentie par ce dernier

Précisons avant tout que la solution conjointe de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel ne rompt pas toutes ses promesses. En effet, il est possible de déduire un champ d’application assez limité de la possibilité d’exclure un associé de SAS par l’application d’une modification statutaire non consentie par ce dernier, venant par conséquent relativiser l’ampleur du phénomène d’imprévisibilité juridique. Ainsi, cela ne concerne que les SAS dont les statuts ne fixent pas, de façon expresse, la règle de l’unanimité pour l’adoption ou la modification de telles clauses, ou les statuts renvoyant simplement à l’art. L.227-19. Par conséquent, les statuts imposant expressément la règle de l’unanimité pour ce type de situation, que ce soit avant ou après l’entrée en vigueur, ne seront pas concernés par les modifications résultant de l’application de ce dernier article.

Il convient cependant de souligner que la décision du Conseil constitutionnel n’est que trop peu détaillée, et en devient assez obscure, sinon sur le résultat atteint, au moins sur le raisonnement adopté. La méthode adoptée n’est pas expliquée, et les affirmations ne sont pas démontrées. Ainsi resterons-nous sur notre fin lorsque le Conseil précise que parce que le but de ces dispositions est d’exclure un associé en application d’une clause statutaire, la cession forcée des droits sociaux n’en étant qu’une conséquence, la privation de propriété au sens de l’art. 17 de la DDHC n’est pas qualifiée. S’il nous semble que le Conseil fait référence au fait que la privation envisagée par l’art. 17 exclut les situations purement privées, comme cela a déjà pu être constaté devant la CEDH (v. notamment Bramelid et Malmström c. Suède), la rédaction pourrait aussi impliquer, contrairement à l’approche effective favorisée en matière de droits de l’homme, que la cession forcée n’étant qu’une conséquence de la perte de la qualité, elle ne serait pas à même de remettre en cause la possibilité de l’exclusion d’un associé.

Enfin, la solution adoptée ne donne aucune indication sur les débats relatifs à l’augmentation de l’engagement des associés, venant (ou non) jouer sur la possibilité de modification des statuts à la simple majorité et qui ont pourtant animé la doctrine lors de l’adoption de la loi de 2019. En effet, la question n’était pas posée sous cet angle, ne laissant pas de porte ouverte à une réponse, et les faits ne permettent pas non plus d’éclairer le débat: en tout état de cause, et même si elle touche à l’exclusion d’un associé, la modification statutaire visant simplement à lui permettre de voter dans le cadre de la décision de son exclusion ne vient pas augmenter l’engagement dudit associé. Le fait qu’il soit, en l’espèce, permis de procéder à son exclusion malgré l’absence de son consentement ne nous en apprend pas plus sur ce point.

Dispositions citées

Code de commerce (C. com.)

-art. L. 227-16, al.1: «Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions».

-art. L. 227-19:«Les clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts».

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC)

-art. 2:«Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression».

-art. 17:«La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité».