Deux affaires récemment rendues par le Tribunal judiciaire de Paris reviennent sur ces pratiques.
1. Société MAISONS DU MONDE c/ société FRANCDESTOCK
La première affaire opposait la société MAISONS DU MONDE à la société FRANCEDESTOCK, une société de revente de mobilier dit ‘déstocké’, qui proposait à la vente un grand nombre de produits neufs revêtus des marques « Maisons du monde » dans son entrepôt, grâce à une promotion sur Leboncoin et les réseaux sociaux.
Le déstockeur, qui se fournissait auprès de différentes associations caritatives telles que la Croix Rouge ou Emmaüs, contestait toute qualification de contrefaçon en invoquant le concept de l’épuisement du droit de marque.
Pour mémoire, ce concept empêche le titulaire du droit de s’opposer aux reventes successives d’exemplaires de produits marqués dont il a déjà autorisé la mise en circulation sur le marché européen.
La charge pèse sur celui qui s’en prévaut. Or en l’espèce, le Tribunal a considéré que le déstockeur échouait à rapporter une telle preuve pour chacun des produits reconnus contrefaisants dès lors que les factures et tickets de caisse émanant des associations caritatives n’identifiaient pas précisément les produits litigieux achetés.
Si la position du Tribunal doit être confirmée quant à l’existence d’actes de contrefaçon, elle interpelle sur le terrain de la réparation du préjudice, le Tribunal apparaissant avoir jugé en équité.
En effet, alors qu’elle évalue les bénéfices réalisés par le contrefacteur à plus de 36.000 €, la Juridiction ne le condamne à payer à MAISONS DU MONDE que la somme de 10.000 € en réparation de l’ensemble des chefs de préjudice résultant des actes de contrefaçon(alors que cette somme correspond dans les motifs décisoires à la somme évaluée par le Tribunal au titre du seul préjudice moral résultant de la dévalorisation de la marque d’origine).
La raison ?
Le Tribunal l’explique par le fait que l’article L.716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle fixe une méthode de calcul des dommages-intérêts qui prend certes en compte distinctement trois éléments - (i) les conséquences économiques négatives de la contrefaçon telles que le gain manqué, (ii) le préjudice moral causé et (iii) les bénéfices réalisés par le contrefacteur -, mais dont le cumul n’est pas systématique.
Et c’est là où le raisonnement des juges atteint ses limites.
Si le but de l’article L.716-4-10 n’est effectivement pas d’introduire des dommages-intérêts punitifs (cf. considérant 26 de la Directive 2004/48 que transpose le texte français), il n’en reste pas moins que les juges doivent veiller à ce que le montant alloué répare le préjudice réellement subi par la victime d'actes de contrefaçon, sans perte ni profit pour elle. Or en l’espèce, le préjudice subi par la société MAISONS DU MONDE n’apparaît pas avoir été intégralement réparé, les juges semblant avoir fait preuve de charité à l’égard du contrefacteur qui s’approvisionnait auprès d’associations caritatives.
2. Sociétés ROLEX c/ société SKELETON
De charité, les juges parisiens n’en ont pas fait preuve dans la seconde affaire qui opposait les sociétés ROLEX à la société SKELETON, société ayant pour activité l’achat, la personnalisation et la commercialisation de produits de l’horlogerie pour le compte de ses clients.
En l’espèce, cette société de personnalisation transformait et proposait à la vente, sur commande, des montres de marques ROLEX après avoir transformé les modèles originaux.
Les transformations étaient loin d’être minimes : modifications du mouvement, suppression du cadran, réapposition des marques Rolex en les gravant sur la glace des montres modifiées,…
Contrairement à l’espèce précédente, les juges ont considéré que dès lors qu’il existait un réseau de distribution sélective de Rolex au sein de l’EEE, c’était au titulaire de la marque d’origine de rapporter la preuve du non-épuisement des droits de marques (ie. d’établir que les montres objets des transformations critiquées avaient été mises dans le commerce en dehors de l’EEE).
Preuve d’un fait négatif que n’a pas réussi à rapporter ROLEX.
Pour autant, le Tribunal judiciaire retient l’existence d’un motif légitime pour s’opposer aux usages critiqués à savoir, la modification substantielle des montres Rolex d’origine.
Le Tribunal estime en effet que les modifications opérées par la société SKELETON portaient atteinte à la fonction essentielle de garantie d’origine du produit, le consommateur risquant d’être induit en erreur par la présence de la marque d’origine sur le produit transformé et d’imputer à ROLEX l’état modifié de ce produit.
Exit les moyens de défense tirés de :
- - la présence d’un disclaimer posté sur les réseaux sociaux,
- - la prétendue référence nécessaire à la marque d’origine associée à l’usage des « # » dès lors que les produits désignés à travers ce hashtag étaient les produits transformés non autorisés par le titulaire des marques d’origine.
Si la décision est richement motivée sur le terrain de l’existence d’actes de contrefaçon, elle s’essouffle là encore quelque peu sur le terrain de l’évaluation du préjudice.
En effet, après avoir rappelé le principe a priori désormais acquis du non-cumul des postes de préjudices visé à l’article L.716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle, les juges fixent – sans détail précis – la créance de dommages-intérêts née des actes de contrefaçon au passif de la société SKELETON (placée en liquidation judiciaire) à hauteur de :
- - 600.000 € au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur et
- - 100.000 € au titre du préjudice moral résultant des transformations importantes opérées par le contrefacteur qui ont affecté l’image de marque des sociétés ROLEX.
Ce qu’il faut retenir de ces deux décisions :
- - La charge de la preuve de l’épuisement du droit de marque repose sur le présumé contrefacteur, sauf lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l’EEE au moyen d’un système de distribution exclusive/sélective ;
- - Le présumé contrefacteur doit détenir des justificatifs d’achats précis des produits d’origine pour caractériser l’épuisement ;
- - L’approvisionnement auprès d’associations caritatives ne suffit pas à rapporter cette preuve ;
- - La customisation de produits marqués constitue un acte de contrefaçon si elle est telle que les transformations par rapport aux produits initiaux portent atteinte à la fonction essentielle d’identité d’origine de la marque authentique ;
- - Mais quid de transformations non-substantielles ?
- - La victime d’actes de contrefaçon doit redoubler d’efforts pour justifier que le cumul des différents chefs de préjudice qu’elle allègue (gain manqué, bénéfices réalisés par le contrefacteur, préjudice moral) correspond à une réparation intégrale de son préjudice, sans perte ni profit.
La suite potentiellement en appel….
Affaire MAISONS DU MONDE : TJ Paris, 19/12/2024, RG n° 22/12857
https://www.courdecassation.fr/decision/6764721b8895cb70157f5cc1
Affaire ROLEX : TJ Paris, 12/02/2025, RG n° 22/09315
https://pibd.inpi.fr/sites/default/files/2025-03/M20250044.pdf